[Download] "De l'Amour Édition revue et corrigée et précédée d'une étude sur les uvres de Stendhal par Sainte-Beuve" by Charles-Augustin Sainte-Beuve ~ eBook PDF Kindle ePub Free
eBook details
- Title: De l'Amour Édition revue et corrigée et précédée d'une étude sur les uvres de Stendhal par Sainte-Beuve
- Author : Charles-Augustin Sainte-Beuve
- Release Date : January 27, 2019
- Genre: Romance,Books,Paranormal,Contemporary,Sci-Fi & Fantasy,Fantasy,
- Pages : * pages
- Size : 1111 KB
Description
Je connais un ou deux secrétaires de légation qui, à leur retour, pourront me rendre service. Jusque-là, que pourrais-je dire aux gens qui nient les faits que je raconte? Les prier de ne pas m'écouter.
On peut reprocher de l'égotisme à la forme que j'ai adoptée. On permet à un voyageur de dire: «J'étais à New-York, de là je m'embarquai pour l'Amérique du sud, je remontai jusqu'à Santa-Fé-de-Bogota. Les cousins et les moustiques me désolèrent pendant la route, et je fus privé, pendant trois jours, de l'usage de l'œil droit.»
On n'accuse point ce voyageur d'aimer à parler de soi; on lui pardonne tous ces je et tous cesmoi, parce que c'est la manière la plus claire et la plus intéressante de raconter ce qu'il a vu.
C'est pour être clair et pittoresque, s'il le peut, que l'auteur du présent voyage dans les régions peu connues du cœur humain dit: «J'allai avec Mme Gherardi aux mines de sel de Hallein… La princesse Crescenzi me disait à Rome… Un jour, à Berlin, je vis le beau capitaine L…» Toutes ces petites choses sont réellement arrivées à l'auteur, qui a passé quinze ans en Allemagne et en Italie. Mais, plus curieux que sensible, jamais il n'a rencontré la moindre aventure, jamais il n'a éprouvé aucun sentiment personnel qui méritât d'être raconté; et, si on veut lui supposer l'orgueil de croire le contraire, un orgueil plus grand l'eût empêché d'imprimer son cœur et le vendre au public pour six francs, comme ces gens qui, de leur vivant, impriment leurs Mémoires.
En 1822, lorsqu'il corrigeait les épreuves de cette espèce de voyage moral en Italie et en Allemagne, l'auteur, qui avait décrit les objets le jour où il les avait vus, traita le manuscrit qui contenait la description circonstanciée de toutes les phases de la maladie de l'âme nommée amour, avec ce respect aveugle que montrait un savant du XIVe siècle pour un manuscrit de Lactance ou de Quinte-Curce qu'on venait de déterrer. Quand l'auteur rencontrait quelque passage obscur, et, à vrai dire, souvent cela lui arrivait, il croyait toujours que c'était le moi d'aujourd'hui qui avait tort. Il avoue que son respect pour l'ancien manuscrit est allé jusqu'à imprimer plusieurs passages qu'il ne comprenait plus lui-même. Rien de plus fou pour qui eût songé aux suffrages du public; mais l'auteur, revoyant Paris après de longs voyages, croyait impossible d'obtenir un succès sans faire des bassesses auprès des journaux. Or, quand on fait tant que de faire des bassesses, il faut les réserver pour le premier ministre. Ce qu'on appelle un succès étant hors de la question, l'auteur s'amusa à publier ses pensées exactement telles qu'elles lui étaient venues. C'est ainsi qu'en agissaient jadis ces philosophes de la Grèce, dont la sagesse pratique le ravit en admiration.
Il faut des années pour pénétrer dans l'intimité de la société italienne. Peut-être aurai-je été le dernier voyageur en ce pays. Depuis le carbonarisme et l'invasion des Autrichiens, jamais étranger ne sera reçu en ami dans les salons où régnait une joie si folle. On verra les monuments, les rues, les places publiques d'une ville, jamais la société, l'étranger fera toujours peur; les habitants soupçonneront qu'il est un espion, ou craindront qu'il ne se moque de la bataille d'Antrodoco et des bassesses indispensables en ce pays pour n'être pas persécuté par les huit ou dix ministres ou favoris qui entourent le prince. J'aimais réellement les habitants, et j'ai pu voir la vérité. Quelquefois, pendant dix mois de suite, je n'ai pas prononcé un seul mot de français, et sans les troubles et le carbonarisme, je ne serais jamais rentré en France. La bonhomie est ce que je prise avant tout.
Malgré beaucoup de soins pour être clair et lucide, je ne puis faire des miracles; je ne puis pas donner des oreilles aux sourds ni des yeux aux aveugles. Ainsi les gens à argent et à grosse joie, qui ont gagné cent mille francs dans l'année qui a précédé le moment où ils ouvrent ce livre, doivent bien vite le fermer, surtout s'ils sont banquiers, manufacturiers, respectables industriels, c'est-à-dire gens à idées éminemment positives. Ce livre serait moins inintelligible pour qui aurait gagné beaucoup d'argent à la Bourse ou à la loterie. Un tel gain peut se rencontrer à côté de l'habitude de passer des heures entières dans la rêverie, et à jouir de l'émotion que vient de donner un tableau de Prud'hon, une phrase de Mozart, ou enfin un certain regard singulier d'une femme à laquelle vous pensez souvent. Ce n'est point ainsi que perdent leur temps les gens qui payent deux mille ouvriers à la fin de chaque semaine; leur esprit est toujours tendu à l'utile et au positif. Le rêveur dont je parle est l'homme qu'ils haïraient s'ils en avaient le loisir; c'est celui qu'ils prendraient volontiers pour plastron de leurs bonnes plaisanteries. L'industriel millionnaire sent confusément qu'un tel homme place dans son estime une pensée avant un sac de mille francs.